Dans le grenier d'Augusta.         

 

Augusta est née voilà bien, bien longtemps ... Aussi les années se sont égrainées et se sont perdues au fil du temps …

 

Tout au long de son existence Augusta avait pris la peine de ranger soigneusement les objets qui lui avaient été utiles pour réaliser sa vie, d'enfant tout d'abord, plus tard de femme et de mère, pour ensuite caresser avec bonheur les joies d’être  grand-mère. 

Certainement, ces objets pourraient encore servir à d'autres se disait-elle. Il était donc très important de les assembler pour donner  l'opportunité de s'en servir le moment venu. Un grenier n'était-il pas l'endroit idéal pour ce genre de rangement !

La vie d'Augusta fut riche d'événements, parfois heureux, d'autres par contre le furent moins, voir même très pénibles. Par chance le malheur s'oublie vite et seuls les bons souvenirs restent.

Par quel heureux hasard « le temps »  avait pris soin de dissimulé une Mémoire parmi tout ce " fourbi" qui retraçait la vie d'Augusta. Et bien, nul ne le sait encore.

Tout doucement, et sans même se faire remarquer, elle se trouvait là, et était prête à nous raconter.

 

Mémoire s'est mise alors à parler.

 

Mémoire avait tant et tant à dire qu'elle ne tarissait pas de d'écrire et de raconter tout ce qu'elle avait entendu par le passé. Elle devait sans doute en rajouter car elle ne se fatiguait pas de rapporter des faits, certains mêmes bien difficiles à croire pour ceux qui n'avaient pas vécu cette époque.

Très curieuse, mais également consciente de son importance, Mémoire s'était dissimulée dans ce grenier car, pensait-elle, qui d'autres mieux que moi ne pourrait transmettre aux générations futures ce qui était enfouis dans ce lieu prédestiné à l'oubli. Dans ce lieu la vie même semblait s'être arrêtée à l'aube d'un matin d'automne, lorsque Augusta, fatiguée par tant de vicissitudes, était allée rejoindre tous ceux avec lesquels elle avait partagé sa longue vie.

Mémoire avait squatté, tantôt une chaussure, tantôt une poche de veston, avait écouté chacun et chacune avec attention et maintenant elle était en mesure de répéter ce qui avait été vécu par tous ces objets personnels. A en croire les racontars de Mémoire, Augusta avait mené une existence bien remplie.

Une paire de bottineraconte…

Une paire de bottine, laissée sans soin là par terre, usée jusqu'à la corde, était complètement épuisée par de très longues marches. Avec diplomatie Mémoire s’approcha d’elles et se présenta.

Mémoire :

 -" Bonjour Bottine, tu me parais bien lasse … Peux-tu me dire ce qui t'est arrivé pour que tu sois posée là, sur le sol,  sans aucun ménagement, comme une va-nu-pieds ? "

Bottine :

 "Oui je suis très fatiguée, cela se voit ?  Mes semelles, usées sur le sol caillouteux des chaudes journées d'été et toutes crevassées par le gel des grands froids de l’hiver, ont été déposées là en reconnaissance de mes services rendus.

Sais-tu Mémoire, que tout ne fut pas triste pour moi ! J'ai chaussé de très jolis pieds. Je les ai bien ménagés, ces petits petons, crois-moi et je leur ai évité bien des soucis. Nous en avons passé des soirées à tourner et tourner encore dans les bals et les manèges...

Il n’a fallut qu’un regard à Augusta pour qu’elle me remarque au milieu des nombreuses chaussures qui m’entouraient ce jour là dans le magasin où j'attendais une preneuse. D’emblée je lui ai plu. Elle m’a essayé, s’est sentie tout à fait à l’aise, m’a trouvée à son goût, elle s’enquit du prix et, étant dans ses moyens, elle n’eut aucune hésitation, elle paya, me prit sous son bras et nous sommes rentrées à la maison.

Au début de notre union Augusta me ménageait. Elle me rangeait, m’enveloppait soigneusement dans un papier fin, sans oublier au préalable de me recouvrir d’une fine couche de cire. Je ne sortais de ma boîte que les jours de fêtes et les dimanches afin de nous rendre à l’église. Avant de se chausser, elle avait soin de me frotter énergiquement avec un chiffon très doux, alors je reluisais et c’est ainsi que je me faisais remarquer de tous… Tu ne peux pas t’imaginer comme nous étions belles !

Il me semble bien que c’était un dimanche matin, le soleil brillait tout particulièrement, que Charles me remarqua. Ce jour là, il prit les mains d’Augusta, les retint dans les siennes mais un peu plus longtemps qu’il n’était convenable de le faire à cette époque. Dès lors je le revis très souvent. C’est avec lui que nous nous rendions au bal les samedis soir. J’ai toujours pensé qu’il ne devait pas beaucoup m’aimer car sans cesse il me marchait dessus. Il s’excusait auprès d’Augusta, mais jamais auprès de moi. Dans ses bras il ne voyait plus qu’elle. Parfois même j’étais reléguée sous le lit jusqu’au matin aux côtés d’horribles chaussures me narguant, se croyant supérieures à moi car elles me dépassaient d’au moins une longueur.

 

Voilà qu’un jour je dus remplacer de vieilles bottines usées et je suivais maintenant Augusta partout ou elle se rendait.

Le seul moyen de locomotion à cette époque c’était la marche. J’en ai fait des kilomètres sur les sentiers et dans les bois. A ce rythme là je m’usais vite sur les routes et les chemins caillouteux tout cela pour protéger les pieds d’Augusta.

 

     Le petit char

Vois-tu Mémoire, il ne lui était jamais nécessaire de m’indiquer le but de notre destination.

Je savais que lorsqu’elle sortait le petit char, nous allions soit ;

Ramasser des pives, des écorces ou du bois de chauffage ou bien encore au plantage (potager éloigné de la demeure) récolter des fruits ou des légumes pour les mettre en conserve pour l’hiver. Parfois même nous allions au village voisin faire les achats plus importants.

 

     Les œufs

Lorsqu’elle se munissait d’un tout petit panier, je savais que nous allions au poulailler ramasser les œufs. Une omelette était prévue sans doute ce jour là au menu ou mieux encore un gratin de pomme de terre comme elle seule savait le faire. Les œufs et le fromage, généreusement répandu sur les pommes de terre, remplaçaient la viande qui ne figurait pas dans les menus de tous les jours.  Les poules se reposant l’hiver, la récolte ne suffisant plus, prévoyante, Augusta avait soin de mettre le surplus dans une toupine dans laquelle il resterait frais jusqu’au printemps. Ainsi on ne manquerait pas d'œufs durant l’hiver.

Les premiers œufs pondus par la poule étaient laissés dans le nid afin d’assurer la survie du poulailler. Il fallait penser également à fournir quelques poules au pot pour les repas du dimanche.


    La lessive 

Lorsque Augusta allumait la grande chaudière et sortait l’immense bassine, j’avais compris ce qui allait se passer. C’était samedi,  les enfants allaient prendre un bain. Munie d’un grand sceau, elle se rendait à la fontaine pour s’approvisionner d’eau. Elle la chauffait dans la chaudière et ensuite la transvasait dans la grande seille.

Imagine-toi Mémoire, la peine et la fatigue que de ce travail demandait ! Tu comprends n’est ce pas qu’il n’était donc pas question de gaspiller l’eau ! La même eau servait pour tous, les plus petits d’abord, ensuite ce serait le tour des plus grands. Une fois utilisée l’eau était remise au service de la nature c’est à dire comme eau d’arrosage pour les rosiers et les dahlias … 

 

    Les grandes lessives

Je me souviens aussi des grandes lessives qui, à cette époque, se faisaient à la fontaine  et seulement deux fois dans l’année.

C’était une véritable épreuve. Nous étions des heures durant debout sur des pierres dures et froides. Je faisais de mon mieux pour empêcher le froid d’envahir Augusta, mais, fatalement il montait lentement le long de ses jambes fines et délicates et mes efforts pour la protéger restaient vains.

Heureusement qu’il y avait les filles à coiffer avant d’aller à l’école, un biberon à donner au plus petit et puis le dîner à préparer. Cela laissait un peu de temps à Augusta pour se réchauffer et sécher ses bottines. Elle nous remplissait de journaux et nous séchions près du fourneau. Ces pauses ne duraient jamais très longtemps, il fallait vite rejoindre les lessiveuses qui, des villages voisins, venaient aider et ainsi gagner quelque argent juste de quoi nourrir leurs enfants. 

    L’évolution
Quelques objets métalliques placés juste en dessous des restes d’un vieux phonographe retiennent l’attention de Mémoire. Alors voyons un peu si je peux retirer quelques informations de cette ferraille se dit-elle.  

La ferraille :  
Lorsqu'une lointaine tante d’Augusta mourut, elle laissa quelques centaines de francs à ses deux nièces, Léa et Augusta. Bonne aubaine pour ces deux sœurs qui ne nageaient pas dans l’opulence. Ce peu d’argent arrivait du ciel, il restait à l'utiliser à bon escient. Après une sérieuse concertation entre Charles et Augusta, La décision fur prise, on achèterait une bécane (moto) pour Charles.

La profession de Charles exigeait parfois des levers à l’aube, la distance entre son lieu de travail et son domicile ne pouvait se parcourir qu’à pieds.  Ainsi, grâce à ce moyen de transport, il pourrait se rendre à Montreux avec plus de faciliter et gagnerait ainsi du temps pour les travaux du jardin. Pour Augusta, il fut décidé d’acheter une machine à tricoter Dubied. Avec cet appareil toute la famille pourrait profiter des beaux tricots qu’elle se promettait d’exécuter.. 

Toute fière,  Augusta mit ses plus beaux habits, me cira généreusement, et, avec le chiffon très doux qu’elle employait pour me faire briller les dimanches matins, me frotta avec une énergie et une joie non feintée. Voilà, nous nous rendîmes en ville, dans la banque où l’argent avait été déposé.

Augusta déclina brièvement mais poliment son identité au monsieur assis derrière le guichet et expliqua le but de sa visite …

«  Mais Madame ! Vous êtes mariée ?  Alors c’est votre mari qui est en mesure de retirer votre argent. »

 « Comment ça demanda t elle, suffoquée. J’hérite de l’argent de ma famille et je ne peux pas le retirer ? " (Alors que sa sœur Léa, veuve n’eut aucune peine à en prendre possession !)

«  Hé oui Madame, c’est comme ça, c'est la loi ! « (....)

Si tu avais vu, Mémoire,  la tête d'Augusta ! Elle était au comble de la colère. Sans même prendre congé elle s’en alla. J’avais grand peine à la suivre tant sa rage la faisait marcher vite. Charles tenta bien de la calmer mais n’y parvint pas. Cette injustice la poussait à lutter fermement avec les quelques femmes qui osaient ne pas être d’accord avec leur temps. (On ne parlait pas encore de féminisme ni de macho ! Les femmes étaient à l’aurore de leur réveil) 

«  Ho mais pardon, dit la ferraille je m’égare dans un discours qui n’a rien à voir avec  ce que tu voulais savoir de moi.

Je vais t’expliquer : Je suis des peignes de machine à tricoter «  Dubied «. Nous servions à mettre en attentes des mailles qui étaient reprises ensuite pour faire le talon des chaussettes. Augusta mettait le nombre nécessaire sur ces peignes, tricotait la partie supérieure de la chaussette et les reprenait ensuite pour tricoter le dessous. Dans un deuxième temps les deux parties étaient rassemblées et cousues à la main.

Parfois, quelques mailles récalcitrantes filaient. Alors là, furieuse elle tapait des pieds et ces coups résonnait dans toute la maison.

Si tu savais Mémoire les coups que j’ai pris contre le sol lorsque les mailles s’échappaient. C’était un travail qui était loin d’être facile, mais entêtée à mort, Augusta s’acharnait sur cette besogne et lorsque cela n’allait pas comme elle le souhaitait, elle piquait des rages épouvantables.

Elle avait trouvé un truc très économique. (Chez Augusta tout visait à l’économie) Elle achetait un lot de laine et tricotait 3 pulls de grandeurs différentes. Lorsqu’un devenait trop petit pour l’aîné, le suivant le mettait, ainsi de suite jusqu’à la cadette. Pauvre cadette ! c’est  ainsi qu’elle s’entendit dire un jour par un de ses camarades d’école :

Heu ! …Tu as mis le pull de ton frère ?

Ho ! La honte ! Elle revint de l’école mortifiée. Aussi, il n’y a rien d’étonnant que cette place de benjamine  lui ait été pesante sa vie durant.

Sais-tu également  que la machine à tricoter en question, achetée dans les années 1920, a été revendue juste après les années de guerre de 39, « en 1948 je crois ». La crise financière des années 30 ayant changé les valeurs, elle a pu être revendue le même prix qu’elle avait coûté. Mais cette fois Augusta encaissa l’argent de mains à mains, c’était beaucoup plus sûr.

Plus jamais Augusta ne retrouva des bottines aussi serviables que moi. On remplaça les belles bottines de cuir, telles que tu me vois par des chaussures en plastic ou autres matières de ce genre. Ces chaussures ne tenaient pas la route, une fois usée on les jetait. Evidemment rien ne pouvait remplacer des bottines de cuir faites pour durer, solide et bien entretenues.

 

   La confiture de pissenlits

Non loin de là une toupine, du moins ce qu’il en restait, avait aussi envie de raconter sa propre histoire. A l’intérieur des morceaux de paraffine étaient là, témoins eux aussi d’un lointain passé.

Cassée à différents endroits, la toupine était restée cependant digne et bien disposée à parler.

La toupine

"-Des toupines comme moi, vois-tu Mémoire, il y en avait de toutes les grandeurs. Les plus grandes étaient réservées à la conservation des œufs, des viandes ainsi que de tous les aliments qui exigeaient d’être conservés au sel ou dans de la saumure.

Les plus petites comme moi, nous étions réservées à recueillir les confitures. Ces morceaux de paraffine que tu vois là dans mon ventre, étaient soigneusement lavés, chauffés et coulés ensuite sur la confiture refroidie pour éviter à la poussière d’altérer le contenu. Cela protégeait également des souris ou des rats qui auraient eu trop de faciliter à se ravitailler.

Augusta était habituée aux économies forcées et elle avait découvert un moyen de faire une sorte de miel sain et savoureux avec des fleurs de pissenlits. Pour la récolte elle avait trouvé un bon filon. Elle se rendait dans le cimetière désaffecté voisin où les dents de lion poussaient serrées, drues et donnaient des fleurs jaunes, belles, grosses et magnifiques. Et pour cause, personne n’osait approcher de cet endroit apparemment tabou. A cette époque il n’y avait pas de chiens errants,  attachés devant les maisons, ils étaient sensés avertir des dangers. Ils dormaient dehors, dans des niches et par n’importe quel temps.

Pas de dangers, l’endroit était donc désert et salubre. Dans cette enceinte protégée rien ne pouvait donc déranger la bonne marche de Dame Nature

En un rien de temps, et sans  courir par monts et par vaux, notre « économiste » en récoltait d’énormes quantités qu’elle préparait en gelée. Augusta avait la bonté d’en offrir  un ou deux pots à ceux qui venaient de la ville pour lui rendre visite et qui n’avaient pas eux-même la chance d’avoir un cimetière à proximité. :-) Tous ceux qui en avaient dégusté l’appréciaient. Peu de gens connaissaient la provenance de la matière première du miel mais ils s’en régalaient. Elle acceptait les remerciements que son geste de générosité suscitait avec un air un tantinet malicieux car elle seule savait où les fleurs avaient vu le jour.

Elle n'avait tout de même pas pu garder ce secret pour elle toute seule, une de ses filles était au courant. Augusta avait une complice et ce secret partagé prenait encore plus d'intérêts. Voici la recette :

 

  Miel de pissenlit

 

Une  terrine

des  fleurs de pissenlit,

eau (de quoi les recouvrir),

1,200 kg de sucre par kg de jus exprimé,

2 citrons.

 

 Cueillez des fleurs de pissenlit fraîchement écloses.

 Enlevez bien les tiges. Mettez les fleurs dans une terrine et recouvrez-les d'eau. Laisser macérer une nuit. Le lendemain, tamisez le liquide en pressant fortement pour en recueillir le plus de jus possible.

Faites cuire pendant 45 minutes,  par 1 l à la fois auquel vous aurez ajouté le jus de 2 citrons, et 1,200 kg de sucre,

 

 Mettez en pots.

 

   Repas de famille

Mémoire se sentant un petit creux à l'estomac pensa qu'il ferait bon de prendre un casse-croûte avant d'aller dormir. Elle jeta un regard par-ci, par-là et aperçu sur un tablar de la vieille vaisselle ébréchée.

Sans doute Augusta avait dû déposer ces quelques objets là afin de prendre encore soins de ce qui restait du beau service utilisé les jours de grandes réceptions.
A cette époque l’éclairage électrique n’était pas installé partout dans la maison. Charles avait tiré lui-même des fils et ce n’est que lentement qu’il avait remplacé les lampes à pétrole par l’électricité. Cette nouveauté étant onéreuse et les moyens financiers assez faible, il fallait faire peu à peu face à ce nouveau confort.

Dans cette pénombre il était difficile de distinguer combien de personnes avaient pris place autour de la table. Deux, trois, certainement plus était réuni pour le repas du soir. Il avait fait très froid ce jour là et chacun avaient hâte de participer à ce souper de famille. Tous avaient l'air bien agité et même très heureux. L'odeur d'une soupe de légumes chatouillait très agréablement leurs narines et mettait en appétit leurs estomacs.

Le père fit une courte prière, dessina une croix sur le pain, en coupa une tranche pour chacun et le distribua  ensuite avec un grand respect.

Les aînés parlaient beaucoup, alors que les plus jeunes n'avaient pas encore le droit à la parole, du moins durant le repas, après le souper, on verrait.

Le travail avait été dur et il s'agissait maintenant de faire le point sur ce que les uns et autres avaient expérimenté durant cette journée. C'était le moment ou les importantes décisions étaient prises.

 

Un bol aperçut Mémoire et se détacha de la table.

« Bonsoir Mémoire, je me présente : Je suis le bol d'Augusta.

Comme tu peux le voir ces quelques marques noires sur le rebord montrent les marques de ce qui avait été dessiné ! Chaque lettre, les majuscules surtout, étaient une œuvre d'art. On aperçoit encore le " A " d'Augusta. Mais le temps a effacé presque toutes les autres lettres. Chacun avait son bol, il lui était personnel; son prénom était peint et personne n’aurait osé s'approprier celui qui ne lui était pas destiné. » 

 

    L'assiette

Pas très loin de là une assiette de faïence bordée d'une fine lisière dorée se sentant seule, elle paraît bien malheureuse.

Mémoire émue par son apparence s'approche d'elle :

«   Bonsoir ! Dis-moi comment ce fait il que tu sois là toute seule ?

L'assiette ravie se met en avant et raconte…

«   C’est vrai, je suis triste, car nous étions 12 pareilles à celle que tu vois.

Nous étions dressées sur la table d'honneur à Noël, le Jour de l’An et lors de quelques fêtes exceptionnelles. Nous étions entourées à cette occasion par de beaux couverts en argent ainsi que des verres en cristal. Ces accessoires ne participaient également qu'aux grands événements.

Décorées de fleurs ou selon la saison de branches de sapin, nous faisions belles allures sur la nappe blanche, lavée et fraîchement repassée pour l’occasion.

Je me souviens bien de la dinde fumante qu'Augusta déposait sur nous à Noël. Elle alignait délicatement quelques petits légumes autour d'un morceau de ce volatile, disposait un peu de farce faite avec de la chaire de porc et d'épices et quelques marrons.

Entre les petits pois et les carottes je pouvais contempler les regards émerveillés des convives face à ce spectacle et dès cet instant je n'intéressais plus personne. Ils n'avaient de yeux que pour ce que je présentais et qu’ils avaient bien hâte de dévorer. Certains convives, une fois le repas terminé, me nettoyaient proprement avec une once de pain. Alors que d'autres, gavés, et sans aucun scrupule laissaient le surplus gisant tristement devant eux. Un récipient récoltait ces restes qui servaient à la nourriture des animaux, les futurs sacrifiés des fêtes suivantes.

Si tu cherches bien dans ce fouillis tu as certainement des chances de retrouver un verre de ce beau cristal. Il pourrait mieux que moi te conter les soirs d'ivresse lorsque le verre se vidait et se remplissait à nouveau. Certains convives, un peu trop grisés par le bon vin et la bonne chaire, finissaient par voir deux verres ou il n'y en avait qu'un.  

Je dois ajouter que chez Augusta il n’était pas question d’exagérer. L’expérience de son père, mort beaucoup trop jeune, l’avait guérie à tout jamais de l’alcool. A sa table il n’y avait que du jus de pommes ou de raisins.

Une fois la fête terminée il y en avait chaque fois une de nous qui manquions au moment du rangement. Petit à petit, je suis restée la seule de la série et c’est ainsi que finirent les repas de fêtes. »

 

Mémoire se trouva terriblement embarrassée. Elle ne voyait pas, vu sa situation d’intermédiaire entre le passé le présent et l’avenir, comment  elle allait pouvoir expliquer aux générations futures la raison pour laquelle les bols de terre cuite ont été remplacés par du plastic et la belle faïence par du carton !

Elle se dit qu’elle devrait retenir et transmettre cette chose essentielle, c'est que de nos jours les grands événements se passent au resto, les repas quotidiens sur un banc éventuellement dans le métro ou encore dans la voiture. Une tranche de jambon entre deux morceaux de pain tartinés à la margarine et le tour est joué.

Le micro-onde, utile pour réchauffer les plats surgelés, aura lui aussi son temps et pour l’avenir on avisera le moment venu. L’essentiel c’est que Mémoire se souvienne et rapporte aussi clairement que possible les us et coutumes.

 

   Coupons, 39, 47

 

Une grande enveloppe, légèrement boursouflée et jaunie par le temps, attira l'attention de Mémoire. Délicatement, pour ne pas remuer la poussière qui s'y était déposée, elle chercha à lire ce qui était inscrit sur la couverture : coupons, 39,47.  
L'enveloppe, toute fière s'ouvra et salua très amicalement Mémoire.

L’Enveloppe.
" Bonsoir Mémoire : Voici enfin quelqu'un qui s'intéresse à moi. Depuis bientôt 60 ans je suis là, reléguée et donnant l’impression de n’avoir jamais existé. Et pourtant … Ce que je renferme était bien précieux durant ces célèbres années de guerre. La colle ayant séché ces petits coupons ne résistent plus que par endroits mais ils ont encore à cœur de témoigner de leur utilité.
Mémoire faisant appel à ses souvenirs tenta alors d'expliquer

Mémoire.
"Durant la guerre mondiale de 1939, certaines denrées étaient contingentées. En suisse, comme ailleurs, pour assurer une participation équitable l'état avait décidé de réglementer les produits de première nécessité. Pour cela des petits coupons avaient été imprimés. Sur certains on peut encore lire : 25 gr. huile, 50 gr riz, sur d'autres,  farine ou encore 100 gr pain, viande etc. Ces petits papiers étaient distribués à la population selon les âges ou les ayants droits. Un jeune homme en pleine croissance recevait davantage de pain ou d'huile qu'un vieillard. Un enfant ou un malade avait droit à du lait, alors qu'un adulte en bonne santé devait s'en priver.

Enfin chacun s'accommodait de son mieux à cette situation où, tension et inquiétude étaient le souci quotidien. Les petites familles en ville avaient bien de la difficulté à faire face avec le peu qui leur était accordé. Nous n'allions pas à l'épicerie avec des caddies, comme de nos jours, mais avec notre petite bouteille pour recevoir le décilitre d'huile dont nous avions droit pour le mois. Nous nous munissions d'un cornet usagé pour recevoir  les 100 ou 125 grammes de sucre prévus, d’un journal pour emballer une salade ou quelques pommes de terre.. Il allait de soi que le client économise les emballages. 

Nous eûmes  recours à des substituts tels que la saccharine pour remplacer le sucre, l'orge figurait le plus souvent au menu du jour et  remplaçait le riz qui faisait défaut. Les choux-raves, réservés jusque là à la nourriture du bétail, étaient servis en légumes avec quelques pommes de terre…

Comment ça, avec quelques pommes de terre ?

Et oui ! Elles aussi étaient rarissimes. Mais grâce au Plan Wahlen personne en Suisse ne mourut de faim.

[ Relevons qu'en 1937 déjà, le Suisse Alémanique, Monsieur. Wahlen s'était consacré de sa propre initiative à l'élaboration d'un plan d'extension des cultures qu'il termina en octobre 1940 il allait marquer toute la population sous le nom de " Plan Wahlen ". ]

Mémoire continue :  
" L'idée de Monsieur Wahlen, avait fait germer dans de nombreuses villes la volonté de transformer les parcs publics en jardins potagers. On vit donc fleurir en ville des plans de tomates, des pommes de terre et bien d'autres légumes qui faisaient la fierté des citadins. Il fallait être bien courageux pour se mettre à la bêche avec le peu de connaissances que certains avaient du métier de cultivateur. Ils ignoraient tout de la peine qui les attendait. Mais pour manger, aucune tâche n'était trop difficile et, heureux ils voyaient sortir de terre des poireaux, des pommes de terre et des salades.  

Ainsi tout fut réparti équitablement pour le bien de tous.  
Un petit carnet dans lequel quelqu'un avait pris des notes éclata de rires.

   Le petit carnet  
 
« Hà hà hà ! Pour le bien de tous ? Vous voulez rire. !!!  
Si, durant ces années de restrictions, la plupart du monde n’avait juste que de quoi se boucher le creux d'une dent, et encore, quelques petits malins avaient su tirer de la situation de très gros bénéfices. Les petits coupons dont vous parlez étaient sujets à des échanges pas toujours très honnêtes et plusieurs ont fait fortune en les échangeant ou même en n'en imprimant d'autres pour leur propre compte. Lorsque je dis pour leur propre compte c'est qu'ils les revendaient un bon prix. Evidemment il ne s'agissait pas de se faire prendre  car de lourdes sanctions, voir la prison était réservée à celui qui trichait … 

   Une sorte de poêle raconte  
 
«  Le mari d'Augusta avait trouvé une formule, laquelle était de rôtir des racines de chicorée.
Une fois séchée et rôtie à souhait, la chicorée était moulue et supposée remplacer le café quasi introuvable. La couleur y était presque, mais le goût, non vraiment ce n’était pas du tout ça ! Nous nous en accommodions néanmoins, car c’était cela ou rien. C’est à cette époque que l’on vit apparaître également le café de figues.

C'est inouï comme les besoins peuvent faire surgir des idées de génie. On fit même de la poudre d'œufs … de la laine avec du verre … des confiseries fourrées avec de la pâte de figues et même des boutons avec de la caséine. » 
Mémoire se dit que si elle trouvait de vieux journaux peut être en apprendrait-elle encore plus sur cette époque ! Elle chercha mais en vain. Les vieux journaux avaient été tous utilisés comme "bois de chauffage". Le bois de chauffage étant rare, le gaz de même ou alors trop onéreux, aussi on eut recours aux briquettes de papiers. Le papier de journal était gorgé d'eau, ensuite compressé et confectionné en forme de briques,  on les laissait ensuite bien sécher. Agglomérées de cette façon elles pouvaient servir comme bois de chauffage. Elles brûlaient lentement et fournissaient une chaleur agréable et peu coûteuse.
C'est ainsi que l'on vida des greniers, tous les journaux antérieurs à l’année 1947

    Mémoire se dit qu’il était temps maintenant de prendre un peu de repos.
Fine et menue elle n’allait pas avoir beaucoup de peine à trouver une petite place où elle ne se ferait pas remarquer.

 En effet Mémoire vit un carton dans lequel était soigneusement rangé un veston qui paraissait comme neuf, mais il ne l’était pas. Il n’avait été porté que très peu de temps,  Augusta avait eu à cœur d’en prendre bien soin.

Mémoire se glissa à l’intérieur du carton. L’odeur  forte qui s’en dégagea la fit éternuer. Elle n’eut aucune peine à démystifier le parfum bizarre qui émanait de cet endroit. Sans aucun doute, on avait glissé entre les plis de l’habit, quelques boules de naphtaline pour empêcher les mythes de squatter le veston et de le réduire en pièces.

Tout en douceur, Mémoire se faufila et aperçut une minuscule poche.  

" Là, voilà ! Ici je serais à mon aise et personne ne viendra me déranger. "

C’était bien mal connaître le devoir de Mémoire pour imaginer qu’elle allait se reposer là sans rien dire et sans rien voir.

Il fallait également s’appeler Mémoire pour avoir connaissance de la supercherie du camouflage des poches. A l’époque des bandits de grands chemins il était fréquent de dissimuler à l’intérieur de l’habit, entre la doublure et le drap,  une poche pour y placer papier précieux ou une petite pièce d’or.

Une chose freina son entrée. Elle s’en étonna, mais un regard lui suffit pour découvrir que la chose était une photo. Jaunie par le temps, le nombre des années avait effacé presque tous les détails. Le personnage n’était plus identifiable, alors s’agissait-il d’un homme ou d’une femme ?

Mémoire salua poliment et s’informa sur cette présence.

La photo s’étira, se réveilla de son long sommeil et, éberluée se demanda où elle était et ce qui lui arrivait.

Mémoire se présenta et de suite la mit à l’aise.

Mémoire.

« Bonjour respectueux inconnu. Je me nomme Mémoire universelle, ma mission est de transmettre aux générations futures les faits qui ont eu lieu lors de vies précédentes. Puis-je savoir qui vous êtes et comment se fait-il que vous trouvez-vous là ? »

La photo

« Bonjour ! Ho mais … attendez un peu ! Il faut que je me réveille. Je dors depuis si longtemps que j’ai perdu la notion du temps.

Oui c’est ça je me souviens maintenant. Je suis Alfred, le chef de gare de Territet, située au bord du lac Léman.

Le veston dans lequel je me trouve est en réalité une vareuse. Sa coupe et ses deux rangées de boutons argentés font qu’il n’est pas un quelconque veston. Les galons aux manches et au col prouvent de son authenticité et de l’importante charge de celui qui le portait. Ils témoignent des droits mais également des devoirs du fonctionnaire responsable de la fonction qu’il incarnait. Cet emploi requérait de la précision et de la constance. Chaque départ de train était sous ma responsabilité.

Jusqu’en 1904 ou 1905, je ne sais plus au juste, les trains étaient à vapeur. Lorsque la ligne du Simplon de Vallorbe à Domodossola fut électrifiée, les chefs des gares et les employés de trains reçurent un habit tel que celui-ci.

J’étais un homme très important. Chaque départ de train était minuté et il était essentiel de tenir l’horaire à la seconde près. La vie des passagers dépendait en grande partie de ma décision.

J’avais la responsabilité de la vente des billets, d’enregistrer les bagages et de transmettre au moyen du télégraphe les messages concernant des retards dus à d’éventuels encombrements sur la voie.

Tenir les locaux et la gare elle-même en parfait état de propreté, de préparer le bois de chauffage pour l’hiver, de réparer une porte, changer les tuiles du toit pour éviter les fuites d’eau, tout cela était dans le cahier des charges du chef de gare.

Levé tôt et couché tard, les journées étaient longues, même très longues et la vie était dure. Nous logions mon épouse et nos 4 enfants à l’étage dans la gare elle-même.
Pas de vacances ni de congés payés. C’était mon épouse Sophie qui me remplaçait lorsque j’allais, avec le peu d’argent que nous recevions, le dépenser à l’auberge du lac non loin de la gare.

A ce rythme là, la vie en famille devint vite un enfer et pour cause. Sans argent les enfants manquaient trop souvent du nécessaire. Sophie était toujours mécontente et mes fuites à la taverne devinrent toujours plus fréquentes.

Je devins alors un alcoolique et une pleurésie m’emporta j’avais à peine 50 ans.

Sophie pris le relais à la gare mais, fatiguée par tant de privations et de déceptions, elle vint me rejoindre une dizaine d’années plus tard.

Je n’ai porté cette vareuse que quelques années, c’est la raison pour laquelle il est si bien conservé. Ma fille cadette, Augusta, n’avait que 14 ans lorsque je quittais le monde des vivants. C’est elle qui prit soin de perpétuer mon souvenir comme tu peux maintenant le constater par la présence de cette photo et de cette vareuse.


   Le guéridon

 

Mémoire repris ses esprits et continua son inspection. Certes, elle n’était pas là pour dormir mais bien pour écouter et pour transmettre au mieux ce qu’elle espérait récolter dans ce grenier.

Son regard s’arrêta sur un guéridon bancal dont un tiroir entrebâillé laissait supposer qu’elle allait recueillir des informations intéressantes. Deux pieds seulement étaient encore en bon état ils démontraient qu’il s’agissait de l’œuvre d’un artisan maîtrisant parfaitement son métier. Sous le plateau de ce petit meuble on pouvait lire, une date et une signature : A Martin, Brent 1939.

Mémoire entra sans peine dans le tiroir entrebâillé et sentant qu’elle n’était pas au bout de ses surprises, elle avait hâte d’écouter ce que ces objets auraient à lui dire.

Un cornet, comme il s’en utilisait jadis pour acheter le sucre, attira son attention. Cet emballage froissé pouvait donc encore servir ?  Et bien voyons donc ce qu’il renferme.

Quelqu’un y avait glissé à l’intérieur un document, il s’agissait  d’un certificat de fin d’apprentissage attestant que, Albert Martin, né de Charles et d’Augusta avait réussi avec succès et mention «très bien «, sa pièce d’épreuve, soit, un guéridon style " Régence " et avait ainsi acquis le titre " d’ébéniste ". Il était donc question de leur deuxième fils né en 1920 et il était bien le créateur de ce petit meuble.

   

    La mèche de cheveux

Le deuxième tiroir opposa un peu de résistance. C’était comme si un secret ne souhaitait pas être révélé au grand jour et désirait dormir encore un peu. Pourtant une toute petite boîte s’agita, et doucement Mémoire s’approcha d’elle.
Mémoire
 «  Bonjour ! Je vous dérange ? »

Non ! Entrez !

Cette boîte était rectangulaire et ne mesurait que quelques centimètres, dimension assez difficile à évaluer pour une mémoire. La décoration était très belle, sur le couvercle une améthyste était incrustée, éclatante de beauté, elle était entourée de nacre irisée, son éclat ne pouvait pas passer inaperçu..

L’intérieur de la boîte était recouvert d’un velours rouge sombre où l’on avait pris soin d’y déposer un petit cœur en or. Mémoire demanda poliment au cœur de parler de ce qu’il contenait. Le cœur en or ne se fit pas prier. Il s’entrouvrit, juste pour laisser entrevoir une photo, très bien conservée. Cette photo représentait une petite file d’environ 3 ou 4 ans, à l’envers du cœur  était gravé, " Jeanne, 1915, 1920 ".


  
Le cœur

Jeanne était la première fille d’Augusta. Une méningite foudroyante emporta cette enfant alors qu’elle n’avait que 4 ans. Blonde comme les blés mûris au soleil d’été, Jeanne était une fille rayonnante de joie et de beauté naturelle. Ce fut pour eux tous un grand déchirement lorsqu’elle retourna dans le monde des anges. Aucun des autres enfants ne pouvait remplacer la fillette qui avait mis tant de bonheur et de gaieté dans la maison.

Regarde Mémoire :

Avant les funérailles Charles avait pris soin de couper une boucle de cheveux de Jeanne.  Elle est emballée dans ce papier. Tu peux voir si tu veux seulement vas-y doucement pour ne rien abîmer. Par ce geste, le père venant de perdre sa fille, faisait ainsi preuve du désir de perpétuer son souvenir.

Ce ruban, dont la couleur a bien entendu passé depuis le temps, était celui qu’Augusta servait pour retenir serrés les cheveux de Jeanne le dimanche et les jours de fête. Chaque lundi le ruban était lavé et soigneusement repassé. Les autres jours on se servait d’une quelconque attache ou tout simplement d’une ficelle.

Ni Charles, ni Augusta ne pouvaient comprendre ce qui leur arrivait et surtout pourquoi cette enfant en bonne santé repartait aussi précipitamment.

L’année du décès de Jeanne, Augusta attendait son 4ème enfant.

Voilà ! Le cœur avait tout dit, Mémoire resta bouche bée devant cette triste histoire. Elle pensa que son travail n’était pas toujours facile, ni gai non plus. Seulement l’obligation de transmettre était un devoir que Mémoire ne pouvait prendre à la légère.

 

    Boîte à bouts

Une autre boîte, de métal celle-ci, étant rouillée et bosselée,  restée trop longtemps sans être ouverte,  résista un peu à cette intrusion.

 Mémoire ?

"Voyons veux-tu bien me laisser regarder ce que tu contiens ?"

La boîte.

« Bof ! Regarde si tu veux, ce n’est guère que des inutilités que je conserve, je ne sais même pas pourquoi je suis là. » 

Mémoire se trouva mêlée à des petites roues d'engrenage, des remontoirs, des spirales, quelques crochets, des vis, des aiguilles et de minuscules boîtiers. C'était toutes des pièces de montres, de cadrans et tout cela semblait en effet bien inutile et confus.

Mémoire.

Quelqu'un aurait-il été horloger dans cette famille ?

La boîte

"Non, non, il n’y avait pas d’horloger dans la famille, néanmoins je vais prendre le temps de t'expliquer.

John le frère de Charles était un maître charron établit à Lausanne. Etant l’aîné de la famille il avait hérité, de son bon droit, le négoce de son père. Ce métier n’était pas celui qu’il aurait choisi, mais voilà le droit d’aînesse était de rigueur, il avait ses avantages mais il avait également ses inconvénients. Que cela plaise ou non, le devoir de l’aîné était de reprendre l’affaire du père. Et c’est plutôt de mauvais gré que John était devenu charron.

Le travail de charron devenait de plus en plus difficile. Les diligences étant remplacées par les trains et les voitures, il se fabriquait de moins en moins de chars ou de chariots. John avait toujours plus de peine à trouver de quoi faire vivre sa famille. Il tentait de recruter du travail et pour cela il se rendait au café du coin. Malheureusement il laissait là plus d’argent qu’il n’en récoltait. Le plus souvent il se voyait confier des petits travaux tels que ; remises en état de pendules, de montres, gramophone, bouilloires, grille-pain, etc . John aurait préféré de loin le métier d’horloger car dans cette pratique il se débrouillait plutôt bien.

 

Comme la plus part des gens de sa génération la devise était * le système D *, c’est à dire, débrouille-toi avec les moyens dont tu disposes. Il était le plus souvent à bricoler une montre ou une horloge, il se trouvait qu’il avait la bonne manière pour réparer tout ce qui ne fonctionnait plus. Il plaçait les pièces qu’il démontait et les mettait soigneusement de côté durant la réparation. Ensuite, patiemment il remontait le tout toujours avec le même soin mais il restait toujours une pièce ou deux qui ne retrouvaient plus leur place. L'objet était réparé, fonctionnait, c’était donc bien ça : les pièces qui restaient étaient justement celles qui entravaient le bon fonctionnement de l’appareil, c’est ce que précisait John avec un air de savoir très bien de quoi il parlait.

Ainsi cette boîte rouillée et vieillie par le temps recueillait les petites pièces inutiles, qui ne devaient en aucun cas être jetées car, sait-on jamais, elles pourraient servir un jour ou l’autre.

Ton histoire de pièces inutiles qui ne servent à rien me fait penser au vieux carton à chaussures qui se trouvait sur le tablar dans le haut de l’armoire de la cuisine. On pouvait lire sur le couvercle : * bouts *.

Ce carton recevait tous les bouts :

Bouts de ficelle, bouts de ruban, bouts de papier, bouts de crayon, même des bouts de dents, bouts de savon et entre tous ces bouts, il y avait même, * des bouts de rien du tout * Raymond Devos l’humoriste belge, a même remarqué un jour qu’on pouvait même distinguer : * les bouts des bouts *.

Pas loin de là, un objet s’étonna d’entendre parler d’un, grille pain.

 

    Le grille pain.

Comment ça ! … A cette époque il existait déjà des * grille pain * ?

Tiens ! Je pensais être le premier dans le genre et pourtant je ne suis pas si vieux. Je ne suis pas le précurseur ?

Zut ! Je suis un peu déçu, je croyais être l’aîné de mon espèce … tant pis je remballe ma fierté et je me rendors.

 

    Le phonographe et la  TSF

Un vieux phonographe, auquel il ne restait plus que la carcasse, était bien décidé à parler de ce qu’il avait vu et entendu.

«  Ho ! Mémoire ! Si tu savais comme j’ai été humilié le jour où, le fils aîné d’Augusta s’imagina que la TSF allait me remplacer. J’en suis encore tout meurtri.
Jusqu’à lors je passais des soirées entières à faire valser les enfants d’Augusta et leurs amis. J’entends encore tout ce petit monde qui chantait à mon rythme, les chansons de l’époque.

Cette brave femme chantait et ne se privait pas non plus de danser. Néanmoins il n’y avait plus que ses fils pour la faire valser car depuis longtemps son mari avait fini de la séduire. Il travaillait souvent tard le soir et, …  il ne dansait plus. Les amusements n’étaient plus de son goût. Un homme, disait-il, travaille mais ne s’amuse pas. Les distractions c’est bon pour les enfants, et encore cela est réservé aux plus jeunes car les plus grands avaient aussi leur besogne. A son avis tous ses enfantillages étaient du temps perdu.

J'étais très estimé, les jeunes prenaient grand soin de moi. On me remontait grâce à une manivelle, me dépoussiérait et à l’aide d’une fine pointe de saphir déposée sur un disque je diffusais des valses de Vienne, des chansons de Rina Ketti (pardonnez-moi l’orthographe car je ne l’entends plus depuis bien longtemps) de Tino Rossi et bien d’autres qui ont été oubliés voilà déjà belle lurette. …. J’entends encore leurs rires et la joie qui régnait lors de ces veillées en famille. J’oubliais il y avait le jeune Daniel Gelin qui chantait « laissez le soleil entrer ». Cette chanson était très belle et réchauffait le cœur d’Augusta. Durant la journée on pouvait l’entendre chanter le refrain.  

La TSF venait de faire son apparition et il devenait courant d’en avoir un chez soi. Charly, le fils aîné d’Augusta, sacrifia ses premières économies afin d'aider sa maman à financer l’achat d’un poste de radio.

Ho ! Mais ce ne fut pas du tout au goût de Charles qui, furieux ne remit plus les pieds dans la chambre où le poste avait été installé. Il m’avait toléré mais un poste de TSF, Ha ça non ! Cela en n’était trop ! Il lui fallut plusieurs mois pour qu’il daigne ré adresser la parole à son fils ainsi qu’à son épouse.

Ce jour là malgré les protestations du papa ils me rangèrent sur le plus haut tablar où tu me vois maintenant comme pour me dire :  
 
Tu as été bien gentil, tu nous as fait bien rire mais nous avons beaucoup mieux maintenant, va et reste où tu es...  
Quelle ingratitude ! Seul le père semblait avoir eu un peu de considération pour moi.   

 Insolite
Délicatement Mémoire s’approcha de deux objets se trouvant être relié ensemble par une attache. Cela laissait supposer qu’une relation intime existait entre eux mais laquelle. Elle avait la ferme intention d’en savoir plus et, faisant appel à son tact habituel, elle s’en hardi et questionna.

Mémoire
Bonjour ! Je  souhaiterais  savoir pour qu’elle raison cette lanière vous relie et qui a eu cette idée, je vous le demande.  
De vous deux, lequel veut-il bien me raconter ? Un harmonieux ding dong, prit la parole :

Moi dit la clochette.  
La plus part du temps c’est la mort dune personne qui nous amène à finir dans cet endroit poussiéreux. Et bien cette fois, c’est la mort d’une chèvre et d’un lapin dont il va être question. Tous les deux avaient appartenu à Alfred, le jeune frère d’Albert.
Cette histoire est celle d’un jeune garçon de 14 ou 15 ans, sensible et très attaché à tous les animaux.  
Rousse, la chèvre d’Alfred était bien différente des autres chèvres. Elle aimait son berger d’un amour inconditionnel et inutile de vous dire que le berger le lui rendait bien.
Mémoire
De quelle manière cette chèvre pouvait-elle bien montrer son attachement à son berger?

La clochette  
" Comment le lui montrait-elle ? Et bien tu risques de ne pas me croire mais je vais tout de même tenter de te le raconter.

Comme tu peux le constater, en qualité de clochette, j’étais suspendue au cou de la chèvre au moyen de cette courroie qui me retient encore à cette patte de lapin. Regarde à l’intérieur de la lanière tu devrais pouvoir lire * Rousse *.

Et bien, à l’endroit où Rousse se trouvait, le berger le savait, grâce à moi. Mon tintement prévenait du lieu où nous nous trouvions.

Je dois avouer qu’il y a deux raisons à ma présence dans ce grenier. La première c’est que j’ai appartenu à Rousse comme je viens de te l’expliquer et la deuxième c’est que le son que j’émets est doux, harmonieux et j’étais, sans vouloir me vanter, la plus belle de toutes les clochettes du troupeau.  
Néanmoins avec cette chèvre là le berger n’aurait pas eu besoin de mes services car partout où il se rendait Rousse était là derrière lui. Non seulement elle le suivait partout, mais lorsqu’il devait se rendre "à l’endroit où personne ne peut aller pour toi », elle l’attendait derrière la porte, le temps nécessaire. Plus étonnant encore la Rousse jouait avec Alfred. Lorsqu’il faisait le pitre pour amuser la galerie, elle riait. Je sens bien que tu ne me crois pas… Pourtant c’est authentique, je te le répète, la Rousse riait et déclenchait ainsi un tollé de rires tant c’était drôle à voir.

Mais il y a plus incroyable encore. Rousse ne pouvait imaginer son ami en danger. Un jour qu’Alfred jouait avec de jeunes enfants et qu’ils avaient trouvé amusant de rebedouler au bas d’une pente raide, la chèvre croyant son berger en danger, se précipita et le retint avec ses deux pattes de devant. Je peux t’affirmer, Mémoire, qu’à ce moment elle ne riait pas. Ses bêlements étaient un déchirant appel au secours. Aucun des adultes présents ne pouvaient en croire leurs yeux. Pour s’en convaincre, Alfred recommença l’exercice 2, 3 fois et, à chaque fois, la chèvre le retenait.
Rousse n’avait de goût que pour le noisetier qui était non loin de l'étable. Elle pouvait brouter ainsi Alfred était tranquille il savait qu’elle ne risquait pas de s’égarer car pour rien au monde ils auraient voulu se séparer l’un de l’autre. Une fois rassasiée elle revenait, sans se presser, tout en faisant résonner le son de sa clochette et là, elle retrouvait son autre ami, Bazile.

Bazile était un beau lapin noir avec une tâche blanche sous le cou. Il s’était lui aussi pris d’amitié pour Alfred et Rousse. Il tentait parfois de suivre Rousse dans ses promenades mais, n’étant pas un lapin de garenne, ses mouvements étaient lents et il se fatiguait vite à courir derrière elle. Rousse, gentiment, feintait de ne rien voir. Elle s’arrêtait et reprenait sa démarche au gré du pas de Bazile. Finalement il renonçait, car la dimension des pattes de l’un et de l’autre n’avait rien d’égal et leur démarche, rien de commun. A la nuit venue Rousse entrait d’elle-même à l’étable et  Bazile l’attendait et venait ensuite s’étendre près d’elle. Ils dormaient là, chaque nuit, l’un cherchant la chaleur de l’autre comme deux inséparables amis.

Avant d’aller dormir, le berger faisait chaque soir sa ronde pour voir si tout était en ordre. Ce soir là, Rousse n’était pas couchée à sa place habituelle. Ne trouvant pas Bazile près d’elle, le berger comprit qu’il se passait quelque chose de grave. Il s’approcha de la chèvre qui, par un bêlement de désespoir, fit comprendre à Alfred qu’elle ne dormirait pas avec Bazile ce soir là. En effet le lapin avait sans doute manger une nourriture empoisonnée, toujours est-il qu’il était mort. Voyant Rousse si triste le berger garda une patte du lapin et la plaça non loin de la chèvre pour ne pas qu’elle se sente trop seule.

Le jour vint ou le berger dû quitter sa bergerie. Il emporta avec lui, la lanière, la clochette et la patte du lapin. C’est depuis ce jour-là qu’Alfred a eu l’idée de nous réunir. Nous sommes ainsi la témoignage que l’amour n’est pas réservé aux hommes seulement mais qu’il est partout où les sentiments se sentent en harmonie.

    Les lattes (skis) (skis)  
Appuyées contre un mur, deux planches ont un aspect de très grosse fatigue et semblent comme mortes. …..  
Mémoire hésita et pensa, vais-je oser les réveiller ? Pourtant il le faut bien si je veux connaître leur histoire.  
Elle avança et se hasarda à leur parler.

Mémoire
« Bonjour «   
Une planche fait mine de se réveiller et du coup réveilla sa conjointe.
Une des planches, tout en bougonnant répondit:  
«   Bonjour ! Qui es-tu toi pour avoir l’audace de nous réveiller de notre sommeil ?  Et sans attendre la réponse, elle poursuivit :

« Nous espérons que tu ne nous réveilles pas, une fois de plus, pour nous faire travailler ?
Mémoire expliqua pour quelle raison elle se trouvait là et que son devoir était de questionner les objets entreposés là et qu’il était de sa responsabilité de renseigner ceux qui n’ont pas vécu le temps où toutes ces choses étaient utilisées couramment.

La planche.  
 
«  Ha ! Bon… Dans ce cas avant de nous rendormir pour l’éternité, je vais t’expliquer.
Tu vois Mémoire, nous sommes indispensables l’une de l’autre. Voilà bien des lustres que Charles nous a fabriqués avec de vieux tonneaux devenus inutiles. Nous étions attachées par de vétustes lanières aux chaussures de celui que nous devions transporter. Légèrement arquées nous pouvions ainsi glisser aisément sur la neige et transporter la personne qui souhaitait se déplacer. Dans les pays du Nord on utilisait depuis longtemps déjà ce moyen de transport. Très perfectionnés, les skis, c’est comme cela qu’on les nommait, avaient de belles fixations, étaient fartés et joliment colorés.  
Dans les pays tempérés comme la Suisse, l’idée n’est venue que beaucoup plus tard et ce n’est que par la suite que skier est devenu un sport et un plaisir.
L’argent ne coulait pas à flot dans la famille d’Augusta, il n’était donc pas question d’acheter des skis. Le mari d’Augusta eut vite fait de fabriquer la paire de lattes que tu vois là.  
Elles étaient destinées à leur fils aîné afin qu’il puisse se rendre avec plus de facilité à l’école, dans le village voisin, lorsque la neige recouvrait les routes et la campagne.
Par la suite les autres fils de la famille eurent droit eux aussi à s’en servir.
Pour ce qui est des filles, il fallait qu’elles fussent bien téméraires pour se hasarder à nous monter. Les chutes dans la neige étaient fréquentes et, à cette époque, il n’était pas question de porter des pantalons cela aurait été très mal vu dans le village. Alors imagine-toi, la neige s’enfilait partout, c’était un vrai supplice.  
Nous avons été rangées une première fois, juste la durée nécessaire pour donner à la cadette le temps de grandir. Arrivée à 13 ou 14 ans, pas exercée dans ce genre de pratique, mais néanmoins toujours prête à faire comme ses frères, elle prit l’initiative de nous sortir et tenta l’expérience.  
Voyons, pour quelle raison cela ne serait réservé qu’aux garçons, se dit-elle. Et pourquoi pas moi …  tiens !

La randonnée ne fut pas très longue. Les chutes dans la neige ont vite eut fait de la refroidir, au propre comme au figuré. C’est lors de sa xième, mais aussi de sa dernière chute, qu’elle se brisa le majeur de sa main droite.  
De retour à la maison, mouillée jusqu’aux os, les cuisses bleuies par le froid, les poils du nez givrés, j’entends encore Augusta qui, au lieu de plaindre sa fille et de soigner son doigt à moitié gelé, l’apostropha en lui disant :
" Et bien tu ne l’as pas mal volée : tu veux toujours faire comme tes frères : Maintenant va réduire en vitesse ces lattes où elles étaient et ne t’avise plus jamais de les y déloger. "  
C’est donc, folle de rage, que la benjamine obtempéra et nous relégua dans ce coin. Et cette fois-ci, nous espérons bien ne plus en ressortir.  

Je te propose Mémoire de retourner dans la boîte à bouts. Tu devrais y trouver encore un bout d’élastique avec des trous prévus pour retenir des boutons. Cet élastique faisait le joint entre une ceinture de tissu en coton, serrée à la taille et les bas, de laine, bien entendu. Les bas Nylon, ainsi que les collants, ne sont apparus sur le marché que beaucoup plus tard et là, ce fut une vraie révolution. Fini les bas qui piquaient aux endroits les plus délicats et les refroidissements aux parties non recouvertes. Fini également le temps passé à aligner des mailles à n’en plus finir sur des aiguilles à tricoter. Pour les fillettes, ça allait encore, mais pour les adolescentes, c’était des corvées qui n’en finissaient plus. Les bas s’usaient principalement aux pieds et aux genoux, là encore il s’agissait de faire des économies de temps, mais également d’argent. On reprisait les genoux, et pour ce qui est des pieds on en profitait pour refaire quelques tours de mailles aux bas des jambes, on tricotait à nouveau le pied en ayant soin de faire là aussi des tours supplémentaires afin de les agrandir et les remettre à la taille des pieds.

     Le lilas

Mémoire s’approcha d’un outil de jardin qui n’avait plus guère d’allure tant il était usé. Il ne lui restait qu’une petite partie du manche et, de ce qui était de la pelle elle-même, la rouille en avait dévoré un bon quart. Mémoire sentant que la fin de cet outil approchait se pencha et lui parla tendrement à l’oreille pour ne pas trop le brusquer.

Mémoire

« A ton allure, je vois que ton existence n’a pas été de tout repos !

Dis-moi ! Si tu en as encore la force, comment te nomme-t-on et quelle était ton activité dans ce bas monde. ?« 

 « Dans ce bas monde, dis-tu ? Répondit la pèle.

Et bien tu ne saurais donner un meilleur sens à ma vie, car mon travail consistait justement à retourner la terre.

Usée, je ne le suis pas seulement par la rouille qui ronge mon existence depuis que je végète dans ce grenier mais aussi par l’hostilité que je rencontrais. La terre était dure et froide et je buttais souvent contre des cailloux qui me résistaient et me fracassaient. Certains hommes, pour venir à bout de leur besogne, s’acharnaient sur moi et n’avaient aucun égard. Ils n’avaient qu’une seule pensée, celle d’en finir le plus vite possible avec ce travail pénible, mais néanmoins nécessaire à la survie de la famille. D’autres plus attentionnés avaient la délicatesse d’éviter les gros cailloux et les détournaient.

Ma fonction était de retourner et d’aérer la terre pour la préparer à y recevoir soit des graines, des plantons ou autres, arbres fruitiers ou décoratifs. Parfois j’entrais dans une terre molle, douce et chaude, il s’en dégageait alors une odeur enivrante de pluie fraîchement tombée.

Ces jours là la terre était comme une jeune fille qui attend son prince charmant, c’était un vrai délice. Je devenais le fil conducteur entre la terre et l’homme. Je sentais bien, d’après les pressions et les vibrations que l’homme dégageait, qu’il était heureux et plein de bonnes intentions. Une fois le travail accomplit, il avait soin de me frotter, de me caresser amicalement de ses mains burinées par des ouvrages parfois bien ingrats et veillait à ce qu’il ne reste aucune saleté sur moi.

Le travail de la terre ne donne pas toujours ce que l’on attend d’elle et bien souvent, le semis n’arrive pas à ce que l’on espérait, alors la déception est grande.

La plus jeune fille d’Augusta en avait fait la douloureuse expérience. A l’âge de 9 ou 10 ans elle avait déjà des goûts très prononcés pour le lilas. Elle convainc son père de lui laisser planter un lilas devant sa fenêtre car, disait-elle, elle voulait le voir en se   levant le matin.

Le père connaissant les exigences d’un lilas tenta d’expliquer que l’emplacement choisi n’était pas celui qui convenait à ce genre d’arbre. La terre était trop dure, l’emplacement trop à l’ombre, la fillette néanmoins ne voulut rien entendre. Elle vint me chercher et se mit en devoir de faire un trou à l’endroit de son choix.

Papa surveillait d’un œil et, suggérait tantôt de creuser un peu plus large, tantôt un peu plus profond,  et se hasardait même à mettre en garde la fillette de prendre bien soin des racines pour ne pas les abîmer et pour, finalement, aller lui-même chercher un grand arrosoir d’eau avec lequel il trempa généreusement le pied de l’arbre. Voilà c’était fait.

Seulement comme papa l’avait prévu l’arbre manquant de soleil ne fleurit pas et dégénéra rapidement au grand chagrin de la fillette qui n’en voulait faire qu’à sa tête. »

Devenue grande, elle tenta à nouveau l’expérience. Cette fois-ci sur un balcon au 5ème étage. L’expérience de même échoua. Le lilas, manquant d’humidité, tomba malade. La fillette, ayant acquis une once de sagesse en grandissant, elle en fit cadeau, avant qu’il ne fut trop tard, au propriétaire d’un terrain suffisamment grand pour recevoir ce petit arbre. Le lilas fut transplanté dans un jardin ou il file des jours heureux entourés de quelques-uns uns de ses semblables.

Mémoire remercia la bêche pour ce récit.

La conclusion est que, lorsque la terre aura donné tout ce qu’elle a, l’homme devra  s’en aller explorer d’autres planètes dans le but d’acquérir d’autres connaissances et d’autres nourritures :

Pour que l’avenir demeure, espérons que Mémoire sera toujours en mesure de  nous transmettre.  

Un dernier "Père Noël".

 Non loin de là un sac en toile de jute troué laisse entrevoir de vieux chiffons. Il devait s’agir de vêtements ayant beaucoup servi car ils étaient tous très usés.

A tous ces vieux habits Augusta avait eu soin d’enlever les boutons car, disait-elle, un bouton peut toujours servir, et, en cherchant un peu, il est même possible de rencontrer la boîte dans laquelle les boutons y avaient été déposés. Oui elle était encore là !

Pour le moment écoutons ce qu’il reste d’une chemise d’homme.

 La chemise
Dans cette famille les hommes portaient tous la même chemise et pour cause. Augusta achetait un rouleau de tissu au meilleur prix, taillait et confectionnait elle-même les chemises pour son mari et ses fils. C’est ainsi que la chemise que tu vois là a appartenu à l’aîné des fils qui, une fois trop petite, la passa  au 2ème, pour la passer ensuite au dernier. Le tissu, bien assez solide, tenait le coup des années.

Savez vous que c’est la cadette, qui est la cause de la démystification du père Noël dans la famille d’Augusta !

 La petite dernière devait avoir 7 ans la dernière fois que ce légendaire personnage leur rendit  visite.

Chaque soir de Noël un de ses frères, ou le père, était absent. Allez savoir pourquoi il y en avait toujours un qui sortait au moment même où le père Noël arrivait et ainsi le malchanceux manquait son passage.

Ce Noël là, au grand étonnement de la petite fille, le père Noël avait eu l'audace d'emprunter la chemise de son frère, justement celle de celui qui était absent ce soir là. En fine observatrice, elle aperçu les poignets de la chemise du Père Noël qui dépassaient les manches de sa robe rouge. Chacun savait que cet enfant était du genre à dire haut et fort ce qu’elle pensait. Aussi personne ne fut surpris par sa remarque qui fit bien rire toute la famille. Evidemment tous étaient au courant de l'imposture, sauf elle bien entendu ! Ce fut donc, au regret de tous, la dernière apparition du Père Noël chez Augusta.

 La petite fille devenue grande retrouva l'adresse du père Noël. Le plus jeune de ses frères, celui là même qui n'avait jamais eu l'opportunité de sortir à son tour, avait pris quelques années sur le dos et était maintenant il était en mesure de ne pas manquer cette visite.

Neveux, petits-neveux et filleules, tous s’étaient rassemblés chez la cadette  pour renouer avec la tradition.

 Renouer avec la tradition ? Oh mais c'est bien vite dit ! Il lui fallu plusieurs années encore pour réaliser que, ce soir là, bien caché au fond de la hotte de cette nouvelle et ultime visite du père Noël, se cachait un autre cadeau,  qui ne viendrait que plusieurs années plus tard.

 Le dernier Noël du millénaire elle devait découvrir un plus grand encore et dont elle n’aurait pu imaginer la nature. Ce cadeau n'est pas arrivé par la cheminée comme l'histoire nous le raconte mais par l'intermédiaire d'internet.

Le soir du 24 décembre 99 ce fut en compagnie d'un jeune homme rencontré sur Internet, de sa maman et de son grand père que la petite fille, aux cheveux blanchis par les années, réveillonna.

 Il est clair  pour elle maintenant que le père Noël n'est pas qu’une tradition, il est bien réel, elle est bien certaine de ne plus jamais l'oublier.

    Bonnes fêtes à tous

 d.wm janvier 2000,    

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