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20 ans en 1911

Souvenir de ma mère.

Maman était âgée de 22 ans lorsqu'elle épousa papa. Les 7 premières années de leur union elle mit au monde 5 enfants et dans ce laps de temps elle en perdit deux. Je ne l'ai pas connue à cette époque puisque maman avait 38 ans lorsque je suis née. Je peux m'imaginer, néanmoins, ce que cette jeune mère a dû souffrir et endurer en si peu de temps.

La vie était dure à cette époque. La perte de deux enfants, la naissance des deux derniers, peu ou pas de confort, la crise financière de 29 et la guerre de 39, le chômage, les emplois incertains et peu rétribués, mal acceptée dans le village, ces conditions de vie n'étaient confortable pour personne et créaient de sérieuses tensions.

Ceux qui avaient la chance d'avoir un travail, comme mon père, devait lutter de toute leur force pour le garder. Aucune erreur n'était tolérée. Personne ne parlait de harcèlement mais les travailleurs le subissaient constamment. Papa a très bien connu ce stress. Il a été contraint de prendre une retraite prématurée pour cause de maladie. Ce qui ne l'a pas empêché, après une intervention chirurgicale, de vivre jusqu'à 89 ans et, en bonne santé. Ce qui prouve bien que le stress est un facteur important de déséquilibre physique ou moral. On sait maintenant que le harcèlement a toujours existé mais il n'avait pas de nom. Les travailleurs qui n'étaient pas disposés à accepter sans mot dire les humiliations lancées par certains patrons étaient éjectés tout simplement, le plus souvent sans préavis, et traités de fainéants ou de bons à rien. Pas de pitié et personne pour les défendre. Les syndicats étaient inexistants ou presque, alors on rentrait chez soi, la tête basse.

De cette situation naissait néanmoins des idées nouvelles. Pour économiser le gaz et le combustible qui était contingenté, nous allions, maman, le plus jeune de mes frères et moi, ramasser des pives et des écorces de sapins que nous brûlions parcimonieusement.

Papa avait trouvé un moyen pour écourter le temps de cuisson des repas. A l'aide d'une caisse en bois, capitonnée de fibre de verre et de vieux lainage, il fit "un autocuiseur". Maman se levait tôt, préparait les légumes, les cuisaient un moment sur le gaz et lorsqu'ils étaient bien chauds calait la marmite dans cette caisse qu'elle prenait soin de recouvrir également de lainage. A midi, nous pouvions nous mettre à table, le dîner avait cuit "économiquement" et n'était en rien amoindri bien au contraire.

Il faut préciser qu'être la dernière d'une famille de 7 enfants n'est pas une place qui soit très enviable. C'est que, voyez-vous, dans ce cas on ne peut pas dire que l'enfant qui va naître soit réellement désiré. Mais je ne pense pas qu'en 1913, lorsque mes parents se sont mariés, la naissance des enfants était programmée. Non ! Certainement pas, ils arrivaient, on les acceptait !

Pas une seule fois j'ai eu le sentiment de ne pas être aimée. Je suis arrivée 16 ans après mon frère aîné et 5 ans après le dernier de mes frères. Alors imaginez cette famille où les aînés quittent la maison pour travailler au dehors et laissent la place aux petits derniers.

Voilà ! Aux petits derniers. C'est comme cela qu'on appelle les derniers arrivés dans une famille nombreuse.

Petits, derniers, pourquoi pas minus ou bons à rien ….. Le cadet n'a pas forcément le beau rôle que les aînés tentent de nous faire croire.
Pas étonnant alors que je sois restée de petite taille. : - ).

Par expérience, je peux dire que si un cadet veut être respecté par ses frères et sœurs, il doit apprendre à jouer des coudes et encore ça ne réussi pas toujours. On est, et on reste "le dernier", et qui sera peut-être bien le dernier à survivre. Pas drôle le gag et pourtant c'est ce qui devrait logiquement se passer. (et qui est arrivé)

A cause de cette différence d’âge j'ai vécu un peu comme une fille unique. Quelques dimanches par ans et lors des fêtes nous nous retrouvions en famille à la maison. Rarement nous étions tous. Il en manquait toujours un. Sur la quantité, en comptant les conjoints, et plus tard les petits-enfants, cela faisait beaucoup de monde. Comme il en venait de suisse alémanique et de Genève, il y avait toujours une bonne excuse pour que l'un ou l'autre ne soit pas au rendez-vous. Une seule fois nous nous sommes trouvés tous réunis et je n'oublierai pas ce Noël là, car ce fut le dernier. En effet, au début de l'année suivante nous devions perdre notre frère aîné. Il mourut âgé de 39 suite à un cancer.

En général, un ou deux jours avant Pâques, Papa tuait un cabri.  Pour le dîner de Noël, c'était, un ou plusieurs lapins, qui étaient au menu. La dinde, nous ne connaissions pas. Tous nous étions très heureux de nous retrouver et nous faisions la fête. Notre chère maman restait au fourneau ! Mais je crois bien qu'elle aimait ça. Elle ne se serait dérobée sous aucun prétexte. La semaine qui précédait ce jour important, elle préparait cet événement avec agitation et anxiété. Je crois surtout qu'elle se réjouissait de nous voir tous réunit. Elle préparait les lits, y mettait des draps propres tout en  s'assurant qu'il y ait de la place pour ceux qui viendraient de loin et seraient là pour un ou deux jours. Elle veillait également qu'il y ait suffisamment de couverts, de nourriture, afin que tous se sentent à l'aise. Le plus jeune de mes frères remplissait la caisse à bois et allait chercher le charbon à la cave.  Je l'aidais en rassemblant les chaises et les tabourets que je dénichais un peu partout dans la maison de manière à ce que chacun trouve de quoi s'asseoir.

Les gâteaux et le pain se faisaient à l'avance. Pour ce qui était des confitures, des fruits et des légumes, la cave était pleine de ce que mes parents avaient eu soin d'y ranger durant les saisons. On y trouvait également le fromage et le jus de pommes. J’aimais ça, le fromage et le jus de pommes, c’était, et de loin, mes goûtés préférés. Rien ne devait manquer. Elle prévoyait tout. Nous autres n'avions aucune inquiétude là-dessus et qui s'en serait soucié du moment que maman "régnait" et maîtrisait parfaitement toutes les situations.

Maman avait beaucoup d'autorité. Je devrais même dire qu'elle était autoritaire. Elle était très entière dans ses idées. Elle était à l’écoute de tout ce qui se passait et elle ne se privait pas de donner son avis et d'exposer clairement ses positions. Car des opinions, elle en avait, et pas des moindres pour cette époque ce qui lui occasionna beaucoup d'ennuis et même attiré des ennemis dans son entourage.

Sa famille et ses enfants comptaient beaucoup. Elle défendait sa progéniture avec un acharnement qui n'était pas toujours impartial et malheur à celui ou celle qui s'attaquait à l'un de nous.

Nous vivions dans un petit village habité par des vignerons et des paysans. Ces derniers ne comprenaient pas du tout le comportement féministe et indépendant de notre mère. Mon père n'appréciant pas les "verrée" dans les caves des vignerons et, qui plus est, était un fonctionnaire de son état et  jouissait ainsi d'une place très enviée. Il était donc, lui également, juste toléré, pour autant cependant que maman ne se fasse pas trop remarquer par ses idées avant-gardistes.

Ses erreurs les plus graves ont été sans doute d'être partisane de la croix bleue, c'est à dire abstinente, de contester les méthodes du pasteur, des régents (nom donné aux enseignants) et la pire des erreurs, oh ! Oui certainement la pire, c'est de s'être faite couper les cheveux.
Ce sont vers les années 20 que les Parisiennes avaient commencé cette mode et elle avait dû  entendre cette chanson :

ELLE S'ÉTAIT FAIT COUPER LES CH'VEUX.

Paroles :Vincent Telly Musique : René Mercier Principaux interprètes, Dréan et Andrex- (1924)

De la mode, elle s'en fichait. Du moment qu'il s'agissait de confort pourquoi s'en priver ? C'était bien là le raisonnement de maman. !!!

Cette nouvelle était arrivée jusqu'à elle, sans doute grâce à la TSF que nous venions d'acquérir et qui avait été une vraie révolution dans notre maison. Papa n'était pas content du tout, vraiment pas du tout. Mais comme pour ce genre de chose il n'était pas le chef, il avait dû se plier. Maman décidait de tout dans la maison et normalement papa acceptait sachant qu'il pouvait lui faire confiance.

Cela a cependant été la fin de ses rapports, déjà bien chancelants, avec ses voisins et voisines. Elle n'était plus tout à fait une femme comme les autres en ce montrant les cheveux courts, elle avait dépassé les limites de ce qui pouvait être compris dans ce village. Elle était le terrible " Jonathan le goéland" qui n'en faisait qu'à sa tête et qui voulait voler toujours plus haut et se dépasser. Ainsi elle devenait un danger, non pas pour le clan, mais pour les habitants du village. Elle était devenue une paria, une intouchable, il n'y avait plus que l'épicier qui la saluait. Comme papa étant un salarié l'épicier était régulièrement réglé chaque mois.

A ma naissance, les deux aînés quittaient la maison pour entrer en apprentissage et je me retrouvais avec mes deux frères de 9 et 5 ans. Ah ces deux là ! Que m'en ont-ils pas fait voir ! Je suis certaine toutefois que s'ils étaient encore là ils diraient la même chose de moi. J'admets cependant, qu'Albert, alors âgé de 9 ans le jour de ma naissance n'ait pas été le plus heureux de mes frères de recevoir une petite sœur pour ses étrennes. (Nous sommes tous les deux nés un 22 janvier) Il aurait sans doute préféré une plaque de chocolat car il avait un goût particulier pour les douceurs. Il était le seul à découvrir l'endroit où maman cachait les biscuits. Il avait déjà un plus jeune frère, que pouvait-il bien faire d'une sœur, un petit dernier lui suffisait. Mais oublions ceci car nous nous aimions bien et il m'a bien souvent prouvé par la suite que son affection était sincère et pour ce qui est du chocolat il s'est bien rattrapé depuis.

Maman et moi comptions beaucoup l'une pour l'autre. Papa, très occupé par son emploi au chemin de fer, passait le reste de son temps de libre dans son jardin à cultiver légumes et fruits nécessaire à l'entretien de la famille. Il n'était pas question d'aller au marché son salaire n'y aurait pas suffi. Il était peu présent mais sa contribution était vitale et nous n'étions pas très conscients de son importance. Maman prenait tant de place que nous n'apercevions qu'à peine l'existence du "Père". Aussi, tous les cinq que nous étions, c'est en grande partie à notre mère que nous devons notre éducation.

La vision que j'ai de maman n'est pas celle d'une personne jeune, insouciante et sportive comme elles le sont de nos jours, bien au contraire. L'idée que j'ai d'elle est celle d'une femme ayant un passé pesant et lourd d'expériences de toutes natures. Ses épreuves l'ont contrainte à lutter, ainsi son caractère s'est affermi et l'a rendue plus forte mais aussi plus intransigeante envers elle mais aussi envers son entourage.

Je ne pense pas que sa vie d'épouse et de mère n'ait vraiment contribué à combler ses aspirations. A mon avis ce n'est pas tout à fait ce qu'elle avait imaginé. Cela ne l'empêcha pas de remplir son rôle de mère avec rigueur, mais également avec toute la bonté qu'elle avait dans sa nature profonde. Elle aimait rire, chanter et jouait volontiers à des jeux avec mes frères. Ils écoutaient ensemble des disques diffusé par un gramophone. J'étais trop jeune pour accorder de l'intérêt à ces sortes de loisirs et je devais rejoindre mon lit.

Elle avait le goût de la lecture, de l'écriture et de la spiritualité. Elle était sans cesse en quête de connaissance et ne supportait pas qu'on lui dicte sa foi et ses croyances. Par contre elle avait une façon d'imposer ses idées qui ne laissait aucun doute sur sa volonté de nous transmettre ce qu'elle estimait être juste.

A cette époque une femme ne faisait pas de politique et n'avait pas de moyen pour s'exprimer. Mais elle s'est décidée un jour à écrire au journal de Montreux pour correspondre avec Monsieur Léon Nicole politicien et "révolutionnaire" du moment. Elle a réussi la performance de se faire entendre et éditer grâce à son prénom, d'Augusta. La subtilité résidait à ne mettre que les trois premières lettres et signer ; "Aug Martin".

Tous, en toute bonne foi, pensaient avoir à faire à un "Auguste" Martin, on lui répondait "Monsieur" et elle se gardait bien d'écrire au féminin, elle  aurait trahi son identité.

"Auguste", elle l'était bien notre mère ! Dommage qu'elle n'ait rien gardé de ces précieux documents et qu'il n'en reste plus qu'un lointain souvenir. Cela prouve, il me semble, que ses intentions n'étaient pas de briller, mais simplement d'exprimer clairement sa position.

Notre Auguste mère donc, nous réserva bien d'autres surprises. Ne serait-ce que celle de vivre jusqu'à 94 ans en pleine possession de ses facultés. Sa dernière année fut une année d'errance chez l'un de ses fils ou petits-fils elle me dit un jour :

< Pourrais-tu m'aider à prier pour que je meure. Tu vois, je suis comme Enoch (patriarche biblique), je suis rassasiée de jours. >

Un autre jour encore elle me dit :

< Sais-tu ma fille que la porte est étroite ? >

A ce moment j'ai compris que la mort ne lui faisait pas peur et qu'elle l'attendait dans une grande sérénité. Je pense que bien souvent elle a dû se trouver devant la porte et que celle-ci ne s'ouvrait pas, ou pas suffisamment pour lui laisser le passage. Elle n'avait probablement pas tout expérimenté et il lui restait encore quelques petits comptes à régler sur cette terre !!!

Chacun de nous tous pouvons nous réjouir d'avoir reçu d'elle un poème en héritage. Elle a même rendu hommage à la pluie ! Elle nous a laissé quelques timides dessins et quelques objets en terre cuite peints par elle. Mais l'héritage le plus important dont elle nous a fait don, c'est sans doute sa foi inconditionnelle en Christ. Je ne me souviens pas d'une seule fois où elle n'ait exprimé un quelconque doute.

Elle était d'une exigence envers la foi qui ne laissait aucun doute de sa détermination à découvrir "La vérité", qu'elle ne rencontrait du reste jamais. A une époque elle visitait toutes les confessions et rassemblements religieux qui existaient pour trouver celle qui la satisferait. Chaque fois elle repartait sans avoir trouvé de réponse mais gardant, de toutes, une parcelle de leur Lumière.

La plupart du temps je l'accompagnais et je pense que cette période a été déterminante sur mon avenir spirituel. Il me semble avoir compris, grâce à sa recherche, une chose essentielle laquelle est, la vérité est un diamant qui comprend de nombreuses facettes et il n'est guère possible d'en faire le tour à moins d'avoir plusieurs vies à son actif, et encore ! J'espère que les expériences que j'ai eu la chance de partager avec elle, m'auront rendue plus tolérante envers les diverses formes de pensées, de religions ou de philosophies existant sur notre planète.

Je me souviens de quelques phrases qu'elle m'ait dites, sans trop savoir elle-même la portée et l'influence qu'elles allaient exercer sur moi. Les voici :
< Ne critique jamais quelqu'un qui n'est pas là pour se défendre >

Mon frère aîné lui reprocha un jour de la lui avoir enseignée. Car, disait-il, c'est le meilleur moyen de passer pour un faible, un lâche qui n'a pas le courage de donner son avis. Il est vrai qu’il n’est pas facile de prendre ou de ne pas prendre parti.

< Ne parle jamais de diable, tu lui fais trop d'honneur. Car où Dieu habite le diable ne peut y être.>

< Si Dieu a permis qu'une chose existe ne la méprise ni ne la conteste, car Lui seul connaît la raison de son existence >

Et voici la plus invraisemblable qui soit :
Soyons reconnaissant envers Judas car s'il n'avait pas accompli cette sale besogne nous ne serions pas du peuple des rachetés.

dwm. Août 99

ELLE S'ÉTAIT FAIT COUPER LES CH'VEUX.

1 -L'autre jour ma femme me dit: vois-tu mon chéri
J'ai fait pour te plaire quelque chose de bien gentil
J'ai fait ce que font toutes les femmes en ce moment
Pour être tout à fait dans le mouv'ment.
Elle enleva gentiment son chapeau.
Et stupéfait, je m'aperçus aussitôt...

Refrain
Elle s'était fait couper les ch'veux
Comme une petite fille... gentille
Elle s'était fait couper les ch'veux
En s'disant ça m'ira beaucoup mieux.
Car les femmes tout comme les messieurs
Parce que c'est la mode... commode
Elles se font toutes, elles se font toutes
Elles se font toutes couper les ch'veux.-

2 -Furieux, de ce pas je vais trouver belle-maman
Une dame qui s'promène entre seize et quarante ans
Ma belle-mère en me voyant me dit d'un air doux
Regardez ce que j'ai fait pour vous.
Elle enleva gentiment son chapeau
Et stupéfait, je m'aperçus tout aussitôt...

(au refrain)- 3 -.......-

4 -Que va dire grand-mère ?... elle, pleine de distinction?
Allons la trouver, j'veux voir son indignation
La bonne vieille nous dit:
J'vous réservais justement
Une bonne surprise, mes enfants!
Elle enleva gentiment son chapeau
Et stupéfait, je m'aperçus tout aussitôt...
(au refrain)- 5 -

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